White Trash Napoléon

FP Meny

[† 14.10.1965 - 11.06.2008 †]

 

Une autre révolution poètique ?

"De l’auteur F. P. Meny, je ne sais presque rien, sinon qu’il se déplace en France, selon sa peu bavarde notice biographique, lue dans la revue du Quartanier, livraison 3/4. Dans ce même numéro, on trouve justement un texte de celui-ci, intitulé Praxis Lopus. Ce texte a été réédité par Le Quartanier (l’éditeur de la revue du même nom) dans le mince ouvrage White Trash Napoléon, qui recueille au total cinq textes de prose tous de genre inclassable mais similaires au plan du style. Très ancré dans le présent cause de quelques-unes de ses références, toutefois jamais véritablement campées (par exemple, le sénateur démocrate John Kerry, Austin Powers, Mireille Mathieu, ainsi que des noms de produits manufacturés), ce livre de F. P. Meny, difficile d’accès dans l’ensemble, n’est proprement parler ni narratif ni poétique. On pourrait décrire, selon une formule paradoxale, sa forme générique comme un monologue plusieurs voix. Le titre des textes nous incite du moins le faire, puisque au moins trois d’entre eux portent un nom de personnage – Praxis Lopus (que j’ai dénommé), Priscille M. et Kamikaze Loxymorus – et que le sous-titre du livre, Avec quatre tirades de Priscille M., souligne le caractère monodique de passages clés. Justement, la manière aléatoire dont on intègre ces quatre tirades dans les textes (les deux premiers) est significative. Toujours en début de paragraphe, elles sont annoncées par la seule mention du nom Priscille M., suivies d’un discours direct entre guillemets, comme si la prose de Meny, libérée de tout patronage narratif, laissait circuler des voix désincarnées et sans corps d’attache. De plus, il est rarement possible d’attribuer aux pronoms personnels contenus dans les incises l’antécédent auquel ils se rapportent. Répondre la simple question « qui parle ? » est généralement infaisable. Tant dans les répliques que dans les passages non dialogués fourmillent pourtant de nombreux sujets, lesquels ont toutefois peu de substance et peu d’incidences sur le sens global du recueil sinon celui que dégage leur accumulation.

Littéralement, trash, le mot anglais – non le terme francisé qui signifie goût douteux, selon le Robert, – veut dire déchet, poubelle. C’est bien dans ce sens dépréciatif qu’on doit prendre le qualificatif de Napoléon, dans le titre, puisque la patrie française, chez Meny, se réduit, dans ses mots, une simple république bananière (p. 21). S’il y a une unité de contenu dans ce livre déjeté et cacophonique (l’auteur emploie même les termes de fouillis et de chaos pour décrire son écriture), on la retrouve dans l’appel une révolution antibourgeoise, menée par des prolos (p. 17), assurée par des pitres (p. 9). On lit aussi cette périphrase: contre-attaque des cafards (p. 31), où l’on doit comprendre que les parasites sont une métaphore des exclus et des marginaux, voyageur[s] immobile[s] (p. 22) nourris de soupe populaire (p. 17). Cependant, cette thématique ne se donne pas lire d’emblée, elle est plutôt disséminée, démembrée dans le corps du texte, lancée et assumée par une voix schizophrénique. Dans ses premiers écrits (L’atelier volant, Le babil des classes dangereuses et La lutte des morts), Valère Novarina, écrivain et dramaturge français contemporain d’importance, a, lui aussi, mis en scène le thème de la lutte sociale, dans une langue rabelaisienne, ramenée des impératifs primitifs. Là aussi, la révolution est celle d’une classe babillarde, étourdie par la polyphonie de ses paroles dévalorisées, défétichisées, comme si une folie – celle des bourges, dirait Meny – se contrait par une folie encore plus grande qui risque jusqu’ la déroute du sens. à cet effet, dans le numéro de la revue Sémiotiques, intitulé Le langage en péril: pathologie du discours (c’est moi qui souligne), paru en octobre 1992, un article analyse et dévoile la mécanique de production de l’écriture novarinienne. à mon sens, Meny amène là aussi son lecteur s’intéresser l’acte de création de son discours, s’interroger sur son mécanisme. Car il est évident que White Trash Napoléon révèle une autre économie du langage, un brin écervelée, qui fonde son sens sur sa production et ses règles internes, pathogènes (comme le dit la revue savante au sujet de Novarina) ou cryptées. C’est pourquoi il rend si hasardeuse sa lecture, moins que l’on accepte son désordre et qu’on le présume signifiant."

Nicolas Tremblay - XYZ n° 86 - été 2006

White Trash Napoléon est constitué d'une série de monologues rapides et allitératifs. Malaxant des matériaux hétérogènes (maximes, ritournelles, aphorismes, micro-récits autobiographiques, associations d'images, lambeaux de publicité, citations non identifiées, phrases trouvées ou entendues dans la rue), ces cinq proses au débit infatigable privilégient le faux raccord. Elles prennent la forme d'un débat interne houleux dont l'objet se déplace à chaque phrase, évoquant des raps schizophrènes où la parole s'invente, se divise et se dissout dans ses rythmes. Une écriture désordonnée, sous pression, colérique, puérile, joueuse, populaire et critique - d'un mauvais goût souvent inspiré. On ne trouvera pas dans White Trash Napoléon de narration suivie ni d'intrigue romanesque, et pas davantage de structures élaborées: plutôt une parole qui circule à tombeau ouvert, de plain-pied avec le trop-plein de signes de la rue et de la vie sociale, dans une prose qui ne hiérarchise pas, mais qui absorbe tout, passe et revient et insiste.

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CONQUÊTE DU DESATRE

second et dernier ouvrage avant sa disparition.

(un article )

* site de Efpé * et Shiva Shakti Shanti

sa "ptite soeur" qui témoigne sur son blog.