VIDEOANTEFORMES

[cette page htm a été réalisée à la demande de la revue VIDEOFORMES via Loiez Deniel]


1. HI8

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[J'@I LA BELLE VIE] Stéphanie Koenig (janvier 1998)

La démarche singulière de cet artiste vidéo s’inscrit dans un processus de critique de la saturation d’images télévisuelles aux effets aliénants, nous menant bien plus souvent vers l'overdose que vers une information pure et vraie, ou, vers une quelconque connexion transcendante touchant notre psyché. Dans ce champ d'investigation, il ne propose aucun moyen pour sortir de cette aporie, mais au contraire agissant allégrement avec les mêmes outils que son adversaire, à savoir la télévision, dans une aire ou le rapport amour-haine serait inévitable, l’un se nourrissant de l’autre, et l’autre engloutissant l’un, l’absorbant quelque fois jusqu’à l’inertie la plus totale: répétitions symptomatiques jusqu’à la fixité de l’image, ce duel infernal de détournement d’images ne nous mène vers aucun constat, car ici la raison abrutie par ce flux incessant fait ressurgir peu à peu les monstres intérieurs de l’inconscient, cette abîme aussi attirante qu’effrayante où les pulsions et désirs les plus refoulés surgissent via le zapping, l’association d’images, les correspondances, les récurrences chroniques, et ainsi de suite.

ANTI-CLIPS “MY WEDDING MAN” Cet acte de filmer est avant tout solitaire et s’impose parfois en manifeste, surtout lorsqu’il prend le titre de “[J’@i la belle vie] cut-up vidéos for Freedom”, toutefois il n’en demeure pas moins plus intime lorsque Thierry Théolier filme un séjour à Palavas les Flots avec père et mère, où l’on assiste à un huis clos intimiste presque inquiétant tellement pèse cette solitude et ce silence familial, une sorte de consensus déclaré après des années de vie passées ensemble, tout est dit, la communication fonctionne par signes, sous-entendus, et par regards. Loin du chaos visuel et sonore des cut-ups et autres zapperies, Thierry Théolier replonge non sans nostalgie dans l’ère du vécu, abandonnant ce devenir insaisissable et impalpable du désir de liberté, il nous confronte, et se confronte à des souvenirs mis en scène, sans singularités, ni effets de style, son regard se promène sur cette intérieur dans lequel s’oppose trois personnages, trois acteurs silencieux (trois acteurs car même si l’artiste vidéo n’apparaît pas à l’écran sa présence est manifeste), économisant les mots, laissant place ainsi aux images qui défilent, accompagnées d’un fond sonore qui n’est pas là pour rythmer cette ballade intérieure, mais au contraire pour donner aux images ce caractère si particulier: atmosphère calme et presque vide de l’appartement, tonalité qui se trouve d’autant plus renforcée par une musique lancinante et mélancolique (Françoise Breut qui chante l’histoire d’une fille aux malheurs pré-conjugaux). On en arrive peu à peu à une totale symbiose entre tous ces différents éléments, l’oeil de la caméra les réunissant, réconciliant ce passé presque ineffable, s’actualisant dans ce présent révélateur. Toutes ces brides sont les pièces d’un puzzle qui se construit sous nos yeux, car nous sommes les regardeurs d’un spectacle muet qui pourrait être également celui de notre histoire.

“MA COLÈRE” “Ma colère” de Françoise Breut accompagne un passage en revue de l’intérieur du vidéaste, de son quotidien. La musique, en osmose avec cet univers, rythme les images qui défilent en une sorte de successions de natures mortes. Nous explorons alors un univers clos, voire étouffant et claustrophobique; voyageurs immobiles, nous sommes les voyeurs-regardeurs à travers un regardant (Thierry Théolier), il est notre oeil dans ce voyage mental, tout comme la caméra lui procure un autre regard sur sa vie. Parti du poste duquel sort la musique nous revenons sur cet émetteur d’atmosphère, terminus de ce parcours où la colère a disparu (est-ce celle de l’artiste ?), pour laisser place à une intrigante quiétude.

BOOK-VIDEOS “AU-DESSOUS DU VOLCAN”, “LE GRAND NULLE PART”, “LES ANGES N’ONT RIEN DANS LES POCHES” Cet oeil regardant de l’artiste prend de plus en plus un caractère intimiste. Plus on s’enfonce dans ce regard, et plus nous sommes les voyeurs de l’invisible intérieur, c’est-à-dire de toute ce qu’il y a d’insaisissable dans l’autre, son histoire, les histoires que renferment les livres, ceux-ci prenant ainsi un caractère fétichisant ; idoles de la postérité à jamais cristallisées. Cette histoire qui ne sera jamais nôtre est bien différente de celle des séries télévisées galvanisées (sitcoms) que Thierry Théolier a filmé, où ces personnages héroïsés sont pour tout à chacun des réceptacles dans lesquelles on peut y projeter tous ses fantasmes et désirs les plus inavouables. Les séries où l’artiste filme ses livres se présentent sous la forme de trois “Book-vidéos” ; trois volets d’histoires différentes, d’époques révolues ; pages tournées, livres fermés, nous ne pénétrerons jamais dans cet univers littéraire; ce sont des bornes, sortes de signal d'appel à travers lesquelles les réminiscences ressurgissent peu à peu, comme des bouées à la surface de l’eau, ces livres flottent, par le biais du mouvement de la caméra, toutefois ils ne peuvent se détacher du passé. La musique (Stina Nordenstam, New Order, Ride) tisse alors une atmosphère autour du souvenir évanescent, les effets utilisés tendent parfois l’abstraction, caractérisant ainsi l’impalpable (avant de filmer ses livres, Thierry Théolier les prenait en photo : immortalisés par l’instantané, ils se trouvent maintenant ressuscités par le mouvement). Mais le souvenir demeure d’autant plus insaisissable lorsqu’on veut l‘attraper. Cette démarche trahit assurément un caractère fétichisant dans la relation qu’il entretient avec les livres et qu’il met en situation et, par un effet de zoom, d’aller-retour, il filme comme on lit un livre. Ce rapport que l’on a avec l’écrivain, et surtout avec les personnages des romans, cette relation qui nous plonge dans une histoire, puis le recul que l’on peut prendre par rapport à cette dernière, est ici imagé par un mimétisme visuel, dans lequel l’artiste avoue s’être laisser complètement absorbé par l’image, il n’hésite pas d’ailleurs comparer cette expérience avec les espaces virtuels où il est vrai, nous sommes littéralement engloutis par les images 3D. On peut de même constater qu’à travers de nombreuses vidéos, l’artiste fait l'expérience de l’abîme, tant visuelle et réelle, que fictive ou symbolique. Et ce n’est sans doute pas fortuit, car lorsqu’il prenait ses livres en photo, ils les déposait dans un lit : ce pli abyssal, parabole de l’amour mais aussi du sommeil et des abîmes du rêve. Ses “Book-videos”, les rêveries d’un promeneur solitaire à travers l’espace-temps, un songe éveillé, ce voyage littéraire, comme celui qu’il nous propose autour de sa chambre, tel que l’écrivait Jean-Jacques Rousseau.

SÉRIE DE PORNOS “PORNO 1”, “PORNO 2”, “PORNO 3”, “PORNO 4”, “PORNO 5”, ”PORNO 6” Des images cryptées filmées sur la télévision prennent peu à peu l’allure d’un tableau. Le coté visuel, solarisation de l’image, absorbe la surface dans une sorte de “All Over” vidéographique. L’artiste à propos de ce travail, et sur ces effets somme toute esthétisant déclare peindre en vidéo, donc plus qu’une image vidéo, et plus qu’un collage, l’ensemble tend à devenir une abstraction que rien ne saurait définir, tant l’image d’origine est brouillée, et par ce fait, cet accent pictural s’oppose au coté trash des images détournées de ce porno des années 80, intitulé “Sex Shoot”, avec Tracy Lords. Toutefois la brutalité des images est atténuée par l’utilisation d’un cache, un carré vert qui obstrue la vision du film, disons dans tout ce qu’il a de plus “hard”(sexe, pénétration, fellation). Ce cadre, c’est l’impossibilité de sortir de cette manipulation d’images, qui deviennent les reflets d’un inconscient qui pourrait être collectif. Il fonctionne ici comme une auto-censure, un jugement porté sur des images dépravantes selon sa propre éthique, il ne représente donc pas seulement la censure, sorte d’oeil extérieur, mais cet oeil intérieur qui veille à ce que tout ne sorte pas des abîmes de l’inconscient dans lequel s’enfuissent les pulsions refoulées et autres états névrotiques de chaque être. Ce carré vert est cette abîme, car on va voir qu'il va prendre un caractère tout autre lorsque des images de vie vont en émerger, il devient alors un espace de projection à travers lequel tout le processus de création prend sa signification la plus originelle ; de cette surface creuse naît l‘informe, puis la forme humaine. Cette analogie entre ces deux processus de création, qui dans un premier temps étaient en concurrence, se fondent en une parfaite symbiose. Pourtant cette métamorphose inattendue a ce coté fascinant, non pas à cause de cette violence volontaire dans ce geste iconoclaste de superposition d’images de fétus et pornographiques, mais parce que ces images qui échappent à l’artiste proviennent des profondeurs de son inconscient, deviennent d’autant plus fortes que son autoportrait en surgit, retournant ainsi l’arme-outil (la caméra) contre lui, l’autoportrait, point culminant de toute l‘introspection, dévoile ici un jeu de miroir aux effets cathartiques. Le vidéaste confronté à sa propre sexualité : univers masculin de la pornographie avec son emblème de la fécondité, mais face aussi aux interrogations de la création, s’oublie et se perd, se retrouve et nous échappe dans ce voyage rétro et introspectif qui se termine sur un visage tout aussi autiste que le sont les couvertures de livres filmées de la série “Book-videos”; une vie vécue, une histoire lue et pensée, une impression de fuite.

Cette série, intitulée modestement “porno”, pourrait être un pendant possible des “larmes d’Éros” de Georges Bataille: “Le sens de ce livre est, en un premier pas, d'ouvrir la conscience à l'identité de la petite mort et d’une mort définitive” déclarait l’écrivain.

Quel est le sens de cette vidéo, si sens il y a ? De la volupté au plus trivial, il n’y a qu’un pas. Cette prise de conscience n’est-elle pas plus qu’un dépassement de la raison, une prise de conscience de l’acte créateur ? De l‘oubli dans la déraison, l’homme touche l’essence de cet acte ineffable, le menant vers une course sans fin, concurrent direct de Dieu. Toutefois, Thierry Théolier, lorsqu’il parle de son travail évoque plus des actes manqués qu’un geste conscient, agissant dans l’ère de l’iconoclasme, plutôt que de cottoyer les démiurges, sortes de dinosaures créateurs intouchables. Toutefois ce “Self made-man” a tous les traits du Golem. Et c’est là que demeure le paradoxe de sa démarche et de ces images. Son travail sur l’image, on le sent, est définit par les moyens utilisés, mais aussi ponctué par des accidents (“dans l’accident, il y a du sens”), d’ailleurs il s’efforce le plus souvent de livrer des image brutes (quand il ne filme pas la télévision), sans travailler sur le rendu, privilégiant l’authenticité, s’efforçant de restituer le vécu, car ces images qui nous sont montrées ont bien leur existence dans la réalité de l’artiste ; sortes d’instants qu'il a piégé avec sa caméra pour les dénoncer : images télévisuelles filmées; ou pour partager: film impressionniste à Palavas “Palavas-Vegas”.

(quelques vidéos sont encore disponibles sur EKART)


2. ART CONTEMPORAIN

Tournage  dans la rue Louise Weiss  pour"Nulle Part Ailleurs" CANAL+

EN ETRE OU NE PAS EN ETRE... Cédric Aurelle (juin 1999)

Traversant vernissages, soirées hype et autres sauteries arty, Thierry Théolier fait de l'acte de présence l'essence même de son geste artistique. S'inventant un personnage en représentation, l'incontournable s'abonne aux rendez-vous d'art et souligne le mode sur lequel s'effectue la production de valeur dans le monde de l'art contemporain. Procédant par infiltration, l'artiste se pose comme un élément de connectique dans un milieu qui se pense en termes de réseaux. Artiste du lien par excellence, Thierry Théolier pousse la logique de l'esthétique relationnelle dans ses retranchements ultimes : organisateur de partouzes, il prend acte de la réticulation d'un milieu qu'il révèle à lui-même. De la posture à l'imposture Décidément, Thierry Théolier ne fait presque rien... Mais il est là, et c'est déjà beaucoup. Pour lui, en tout cas, qui fait de sa présence dans les lieux et aux événements qui font l'art d'aujourd'hui un geste artistique à part entière. Il y a dans la démarche de Thierry Théolier un souvenir du Marcel Duchamp des Rendez-vous d'art, auxquels il répond lui aussi définitivement "présent". Etre là au bon moment, assister à l'événement, cultiver le direct, laisser sa trace, non dans l'histoire, mais dans le présent, c'est à ces impératifs qu'obéit la démarche de Thierry Théolier.

Y être ou ne pas y être, c'est maintenant là la question.

Thierry Théolier réactualise le drame shakespearien à l'aune d'une problématique contemporaine, certes moins profonde, celle de la captation du présent. Les formes, chez Thierry Théolier, sont affaire posture et naissent de la conjonction de lieux, d'événements et de présences. Mais cette posture qu'il revendique ne va pas de soi, et les réseaux sont par définition hermétiques à ceux qui n'y sont pas officiellement introduits. Or, tout tissu conjonctif présentant des lacunes, l'imperméabilité apparente du réseau de l'art n'est pas sans faille ; aussi, le travail de positionnement de Thierry Théolier procède-t-il essentiellement de l'infiltration, de la pénétration des réseaux. Depuis 1999, armé de son tampon "approved by alibi-art ", il impose sauvagement sa marque sur tous les cartons d'invitation, flyers et autres supports d'information qui fleurissent dans les lieux de l'art. A la fois trace de passage et signe d'appropriation, son tampon est l'instrument d'une démarche qui relève d'un processus de labellisation. En désignant par sa marque les oeuvres ou les événements qu'il approuve, l'artiste inverse le mode de production symbolique (et par conséquent économique) de la valeur esthétique dans le milieu de l'art. En s'arrogeant les prérogatives traditionnellement dévolues à d'autres acteurs de ce milieu (critiques, galeries et institutions), il court-circuite les instances de labellisation établies et renverse la topographie du champ de l'art, l'ancienne particule en gravitation périphérique s'imposant illégitimement comme le nouveau noyau des centres d'intérêt et de décision. L'objet de l'analyse devient sujet analysant. En assumant les tâches qui, à priori, ne sont pas les siennes, Thierry Théolier transforme l'autoportrait idéal que le milieu de l'art se compose à travers les choix qu'il cautionne en un miroir qui le renvoie face à lui-même et à sa qualité de grande machine célibataire fonctionnant sur le mode de l'auto-représentation permanente. Afin de donner un lieu à sa production artistique, Thierry Théolier s'invente un personnage, TH. TH. Tel un Dorian Gray rejetant dans son portrait le banal et le transitif, il se crée un double, une fiction de personnage, " une oeuvre d'art unique " répondant à un processus d'élaboration permanente. Thierry Théolier n'est donc pas un artiste sans oeuvre, c'est un " artiste-oeuvre ". D'aucuns voudront voir dans cette mise à distance de son individu pour laisser la place à un travail de " sculpture " de son personnage en représentation le prototype même du dandy. Mais le dandy TH. TH. n'étudie pas la pose ; il concentre son action sur une problématique de posture et veut fonctionner comme un révélateur dans le jeu de l'art contemporain. En déclarant cette posture, Thierry Théolier, qui, décidément, ne fait presque rien, usurpe un rôle qui ne lui est pas destiné et revendique l'imposture comme mode d'être à l'art.

Du racoleur au recolleur : la Tooz

Marcel Duchamp, disposant ses ready-made au sein du musée, postulait une possibilité d'art liée, non plus au travail manuel de l'artiste, mais à son simple acte de décision, combiné à un lieu (le musée) et à des présences (les gens de l'art). Déchu du devant de son chevalet, l'artiste se retrouvant à la croisée de jeux d'affluences et d'influences, hérite de sa posture nouvelle un pouvoir quasi magique de transmuter le banal en art. Thierry Théolier, de son côté, évacuant la problématique de l'objet, fait de l'ensemble du milieu de l'art son unique ready-made et se pose comme l'élément catalyseur du processus alchimique qui métamorphose la trivialité de départ de ce milieu dans ce qu'il considère en faire sa spécificité, la " hype " (comprendre le branché), manipulant avec brio son ingrédient de base, le " buzz " (la rumeur). C'est que Thierry Théolier est un expert en matière de mondanités : jeune homme très sympathique, ayant un contact facile et beaucoup de relations... autant de dons et d'outils pour mener à bien le travail de création auquel il s'attelle. Quelque part, Thierry Théolier fait la pute pour TH. TH. Un peu comme Alberto Sorbelli qui tapine dans les vernissages. Exit jarretelles et autres décolletés, ce que vend Thierry Théolier, c'est son âme. Là où un Dorian Gray pactise avec le Diable pour s'abstraire dans l'éternité, lui se compromet avec le milieu de l'art pour obtenir la reconnaissance et avec les médias pour connaître la célébrité. En leur donnant TH. TH. en pâture, Thierry Théolier recherche ce fameux " quart-d'heure de célébrité " dont parlait Andy Warhol ; c'est que les médias sont là pour faire vivre son personnage qui n'existe que dans la représentation. A la croisée des chemins et des gens qui font l'art d'aujourd'hui, l'artiste, qui se présente comme un entremetteur, s'avère être un élément de connectique au sein d'un milieu qui se pense en termes de réseau ; c'est un activeur. En prenant acte de la réticulation extrême du milieu de l'art, Thierry Théolier organise des Tooz et renvoie ce milieu au miroir de son fonctionnement. Si, inévitablement, la chose en choquera plus d'un, il ne faut pas voir dans l'organisation de telles " sauteries " et encore moins dans la publicité qui en est faite, une volonté de provoquer un milieu de l'art qui s'ennuie ou de remettre au goût du jour une libération sexuelle déjà expérimentée par nos parents de la génération post-soixante-huitarde. Il semble au contraire que le phénomène orgiaque cristallise ici le moment relationnel ultime d'individus en perte d'eux-mêmes cherchant dans le tas des instants fusionnels absolus, comme autant de " particules élémentaires " à la recherche d'un noyau provisoire, comme autant d'artistes, de critiques, de galeristes et autres institutionnels à la recherche d'une place, aussi éphémère soit-elle, dans le réseau mouvant de l'art. Dans la fusion extatique de l'orgie résonne l'alchimie des Rendez-vous d'art. Là où Duchamp, par goût iconoclaste, provoque un séisme dans un milieu de l'art bien établi, Thierry Théolier semble au contraire adopter une démarche consensuelle, au sens étymologique qui renvoie à l'idée de "sentir ensemble" , une démarche de réunion autour de l'art, ou plutôt de réunion tout court. L'art a disparu, reste l'agrégat. Le racoleur se met au service d'un recolleur d'entités préalablement disjointes pour franchir ici l'ultime étape de l'esthétique relationnelle.

Obscènes alibis

En insistant sur la problématique du présent et de la présence, Thierry Théolier nous demande finalement si l'art ne serait rien d'autre qu'un prétexte pour être ensemble, rien d'autre qu'un alibi. Mais le prétexte est-il valable ? Se pourrait-il que milieu de l'art ne parvienne pas à recréer cette magie, que l'alchimie n'ait pas lieu là, mais ailleurs ? Le 19 septembre 1999, pendant la Fiac, cet incontournable rendez-vous des gens de l'art, Thierry Théolier organise FIAC OFF !, un rendez-vous de 4000 artistes au Bois de Meudon. Pied de nez à la Fiac, auquel n'assistèrent qu'un trentaine de pingouins détrempés par la pluie, FIAC OFF ! fournit un alibi pour se retrouver à ceux que la Fiac laisse froids, ou qui ont simplement fini d'y faire leurs affaires. Le bois fonctionne ici comme un ailleurs , un lieu chargé d'un potentiel dionysiaque, en rupture d'avec les exigences prométhéennes auxquelles répond le marché dans son écrin, la foire. La Tooz ne fonctionne-t-elle pas elle aussi comme un ailleurs pour un milieu de l'art qui ne s'y reconnaît pas forcément, loin s'en faut ? C'est que, il se dégage de l'orgie une dimension obscène pour celui auquel elle s'offre en spectacle et qui n'y participe pas. Blank obscenity, c'est le sous-titre que Thierry Théolier donne à ses Tooz. Une obscénité transparente, donc, une obscénité qui probablement renvoie le milieu de l'art à lui-même. Pourquoi le documentaire sur les marchands d'art Marianne et Pierre Nahon a-t-il fait scandale ? Peut-être parce que l'exhibition des ressorts intimes qui actionnent le jeu subtil de l'art, une réalité habituellement occultée et dévoilée ici dans sa crudité, paraît obscène pour qui la contemple de l'extérieur. Y'aurait-t-il de l'obscène dans le réseau pour celui qui n'en est pas ? En être ou ne pas en être, c'est la question...


3. RESEAU(X)

ThTh & Serge Balasky

THIS IS NOT SPAM ART Nobody (août 2002)

Enquêter sur ce français né en 1968, issu d'une famille d'exilés, figure typique de l'Internet, c'est accepter de faire corps avec son anticorps (Nobody). Corps à corps ludique, sa production joue la création d'un dispositif médiatique. THTH s'identifie avec la figure paradigme du Mat - entité transgressive sur les chemins balisés de la culture diplomatique. A force de déconstructions et de fuites, il s'invite au cœur du réseau de l'homme immédiatiste. Singulier/autrui ; sujet/communauté ; langage/communication... toute vision normative est dissoute par son acte de spammeur. La vérité d'une théorie n'étant jamais que infra-résiduelle, la pluie de signes chez TH recouvre une richesse alluviale. Ni artiste, ni écrivain, mais acteur désincarné affectuel qui paye d'exemple, qui suit dans ses sites une même trame expérimentale, THTH est une sorte d'anti-écrivain. Son dernier blog (son ultime blog ?) renverse le point d'accroche du sujet écrivain : j'écris donc je suis. En effet, il n'y a d'alibis opératoires que par la connexion, c'est-à-dire hors de tout intellectualisme ratiocinant. Ce qui le définit comme sujet, c'est sa propre représentation, inscrite par nature dans le jeu de miroirs virtuellement indéfini du rapport à autrui via les écrans domestiques. Le sujet n'ek-siste qu'en tant qu'on le désigne - par un acte de communication - et que c'est cette désignation qui lui donne corps. Hors de la Vie règne le vide des avatars. THTH témoigne d'un connexionisme sans existentialisme. Le corps de son image s'élabore en termes de réseaux, d'impacts, de clivages, de jouissance ; sa conception de l'événement, en termes d' intercept et de destruction : L'événement est le réel d'une représentation désagrégée ; pour qu'il advienne il faut qu'il détruise. La partouze BLANK OBSCENITY était de ce point de vue exemplaire en 1999. On y a pris part non pas pour être une communauté qui jouissait, mais pour jouir de la communauté de la désagrégation de la représentation convenue que se fait d'elle-même une communauté. Contre toute normalisation, THTH développe une hyperphénoménologie de la communauté, qui n'est rien d'autre qu'un concept métastructurel rassemblant des représentations espacées sur le web.

+ ITV dans la www.laspirale.org avec Laurent Courau (avril 2004)